Le 16 mai 2011

Que sera notre monde dans 20 ans?

François-Nicolas Pelletier

Le réchauffement climatique va-t-il emporter notre civilisation dans les prochaines décennies? Quelle quantité de mémoire une clé USB pourra-t-elle stocker dans 20 ans? La retraite existera-t-elle encore? Le cancer sera-t-il vaincu? Pourra-t-on passer un test d'imagerie par résonance magnétique dans le bureau de son médecin? La Chine deviendra-t-elle une menace pour l'Occident? Ce ne sont là que quelques-unes des questions qui tracassent aujourd'hui les chercheurs, les décideurs politiques, ou tout simplement les gens curieux. Peut-on y répondre?

Quelques spécialistes de l'Université de Sherbrooke ont accepté le jeu de la boule de cristal pour le magazine UdeS et nous offrent leur vision du futur. Prudence scientifique oblige, ils sont unanimes à souligner que prédire l'avenir est hasardeux, et que toute prédiction doit être prise pour ce qu'elle est : une extrapolation de ce qui est observable aujourd'hui. Les humains ne se sont jamais privés d'imaginer l'avenir, y compris dans ses formes utopiques ou cauchemardesques – des anciennes prophéties millénaristes aux contre-utopies du XXe siècle comme Le meilleur des mondes, d'Aldous Huxley, en passant par les romans futuristes de Jules Verne et toutes les formes de divination dont l'intérêt ne s'est jamais démenti. Mais peut-on dire quelque chose de valable sur ce qui, par définition, est impossible à étudier puisqu'il n'existe pas encore?

En attendant une réponse à cette question, donnons la parole à nos chercheurs qui sont, chacun dans son domaine respectif, bien en avance sur nous tous!

Environnement

Réchauffement climatique : pas de panique, mais de l'action S.V.P.

«Le changement climatique menace les ressources vitales pour les populations humaines partout sur la Terre — l'accès à l'eau, la production de nourriture, la santé et l'utilisation du sol et de l'environnement.» S'il y a bien un sujet qui provoque des angoisses par rapport à l'avenir, c'est bien l'environnement. Les scénarios apocalyptiques se multiplient, et on vient à se demander si les prochaines décennies amorceront le début de la fin pour l'espèce humaine...

Ce serait une fin un peu prématurée, selon Alain Royer, spécialiste de l'étude de l'atmosphère par satellite : «On parle beaucoup d'événements climatiques extrêmes, mais leur caractère “extrême” est en fait relatif à notre degré de préparation, dit le chercheur. Dans les prochaines décennies, si nous enfouissons les fils électriques, si nous déplaçons les maisons situées trop près des berges et si nous adaptons nos normes de génie civil pour que, par exemple, nos égoûts puissent recevoir des pluies plus abondantes, nous ne vivrons pas nécessairement de cataclysmes.»

Cela dit, Alain Royer ne voit pas pour autant l'avenir avec des lunettes roses. Il prévoit que le climat va effectivement se réchauffer au cours des 20 prochaines années et au-delà. Pour l'ensemble du siècle en cours, le réchauffement estimé au Québec est de 3 à 6 ºC. Au fil des ans, il faut s'attendre à des canicules plus fréquentes et à des épisodes pluvieux plus intenses. L'hiver sera moins froid, mais les tempêtes laisseront plus de neige au sol... qui fondra toutefois plus tôt au printemps.

Quel sera le bilan de toutes ces transformations? Difficile à dire pour le moment. Dans 20 ans, «nous devrions comprendre le climat bien mieux qu'aujourd'hui», répond Alain Royer. Présentement, on a du mal à prévoir les effets de rétroaction. Par exemple, le réchauffement climatique, dû principalement au CO2 dans l'atmosphère, permet aux plantes de pousser plus vite et plus tard en automne. Comme les plantes absorbent du CO2 dans le processus de photosynthèse, une croissance accélérée et prolongée des plantes devrait en théorie ralentir le réchauffement. Autre exemple : la fonte des neiges et des glaces dans le Grand Nord devrait s'accélérer en raison du réchauffement climatique. Mais le réchauffement devrait en même temps provoquer plus de précipitations de neige dans cette partie du globe, ce qui a aussi pour effet de refroidir l'air...

Un collègue d'Alain Royer, le professeur Hardy Granberg, du département de géomatique appliquée, croit même que nous avons surestimé le rôle du CO2. À son avis, le réchauffement climatique (qu'il constate aussi) viendrait en bonne partie de la coupe des forêts qui, en modifiant la teneur en humidité de l'air, perturbe le cycle naturel de réchauffement et de refroidissement de l'air. Malgré ces différences d'opinion sur les rôles respectifs joués par les différents facteurs, le professeur Granberg est d'accord avec Alain Royer sur un point : «Ce qui est sûr, c'est que dans 20 ans, nous comprendrons beaucoup mieux l'atmosphère terrestre et la dynamique climatique.» Bref, les spécialistes du climat ne chômeront pas au cours des 20 prochaines années!

Une lueur d'espoir

Mais a-t-on vraiment le temps de trouver des réponses à toutes ces questions? M. Royer est optimiste; il croit que l'humanité va bouger avant qu'il ne soit trop tard, tout simplement parce que, comme il est écrit dans le rapport Stern cité au début du texte, le réchauffement climatique entraînera des coûts tels qu'on ne pourra rester les bras croisés. « Même la Chine, qui retarde les négociations pour le moment, finance de nombreuses recherches sur le changement climatique, explique M. Royer. Le pays subit déjà les conséquences de son développement rapide, comme les tempêtes de sable causées par la désertification, qui vient elle-même de la surutilisation des sols. La Chine va bouger, c'est sûr.» Il y a donc de l'espoir, à condition de faire les bons choix.

«Dans 20 ans, répond à son tour Chloé Legris, de l'ASTROlab du Mont-Mégantic, on vivra dans un univers extrêmement technologique. Je pense que la technologie servira à améliorer le sort de la planète : on aura des voitures électriques, des maisons autonomes sur le plan énergétique, etc. On laissera aussi plus de place aux collectivités qui utiliseront les ressources locales comme la biomasse, plutôt que de construire de nouveaux barrages. Mais il faut être réaliste : on ne va pas réduire notre consommation, on va seulement réduire l'impact de la consommation sur l'environnement. Les jeunes d'aujourd'hui géreront beaucoup mieux les ressources naturelles que nous, mais en même temps, ils baigneront dans un univers très technologique, un peu comme au Japon, et ils auront un rapport plus distant avec la nature. »

Sciences et technologies

Une science de moins en moins fiction

Des appareils d'imagerie par résonance magnétique sur le bureau du médecin. Des robots qui se choquent. Une preuve que la vie existe sur d'autres planètes... Dans 20 ans, le monde aura passablement changé grâce aux sciences et aux technologies!

Louis Taillefer, physicien vedette de l'Université de Sherbrooke, réfléchit : «Dans 20 ans, qu'est-ce qu'on saura faire? Ouf! C'est difficile à prévoir avec certitude! Qui aurait pu dire que l'invention du transistor il y a 60 ans, nous aurait donné google?»

Sa passion, c'est la physique fondamentale : il cherche à percer les secrets de la supraconductivité, cet état de la matière qui permet à l'électricité de circuler sans résistance. Des applications majeures découleront de ses recherches. Par exemple, dans un appareil d'imagerie par résonance magnétique (IRM), on doit générer un champ magnétique important pour obtenir une image des tissus. Pour ce faire, on utilise un aimant fabriqué à partir d'un alliage de niobium et de titane qui est supraconducteur... à condition d'être plongé dans l'hélium liquide à – 269 °C! C'est pour ça que les appareils d'IRM sont si gros : ils ont besoin d'une énorme coquille isolante. «Si nous pouvons élucider ce qui limite la température maximum dans les matérieux actuels, il est permis de croire qu'on puisse alors pousser l'état de supraconductivité jusqu'à la température de la pièce. Et qui sait, d'ici 20 ans, on pourrait alors fabriquer des appareils d'imagerie assez petits pour être placés sur le bureau d'un médecin de famille!»

Parmi les autres applications, on peut citer la construction de lignes de transmission d'électricité qui transportent beaucoup plus d'énergie dans de plus petits fils, des trains à lévitation magnétique, des antennes de téléphonie sans fil qui peuvent détecter plus finement les fréquences, et des ordinateurs beaucoup plus puissants.

Dans 20 ans, on peut espérer retrouver le bureau de son médecin chez soi – ou presque! – grâce à la robotique. François Michaud et son équipe travaillent en effet sur le développement de robots qui permettent un suivi médical à distance. Ils ont déjà développé un prototype qui peut se déplacer dans une maison pour observer une personne à mobilité réduite et qui est équipé d'appareils de communication pour échanger avec une infirmière ou un médecin à distance. «Un robot comme ça pourrait aussi servir à un aidant naturel qui peut aller faire son épicerie en laissant un centre de surveillance garder un œil sur un proche», dit François Michaud.

D'autres applications plus complexes sont envisageables : il existe déjà des bras robotisés qui peuvent être manipulés à distance par des chirurgiens; ces robots pourraient être raffinés pour inclure des caractéristiques comme une capacité de transmettre des sensations tactiles à distance (pression ou texture). «Les médecins saisissent d'instinct l'état d'un patient grâce à ce type de sensation», précise François Michaud.

Des robots émotifs

L'intégration des informations sensorielles, de même que la coordination des «membres» d'un robot nécessitent une grande capacité de traitement de l'information. Pour être encore plus autonomes, les robots auront besoin d'un «jugement» accru, ce qui nous amène dans la direction de l'intelligence artificielle. À l'Université de Sherbrooke, on travaille même sur une piste étonnante : l'imitation des émotions humaines. François Michaud explique : «Les émotions jouent un rôle important dans la prise de décision chez les humains. Nous travaillons sur des algorithmes qui miment la colère ou la peur. Le but? Aider des robots à se sortir de situations insolubles dans le contexte de leur programme de départ.»

La capacité informatique progresse sans cesse, mais elle pourrait exploser grâce aux nanotechnologies, d'après Dominique Drouin, du même département. Il travaille sur le développement de dispositifs monoélectro- niques capables de contrôler le passage d'un électron à la fois. «Avec une telle technologie, on pourra dans 15 ans concevoir des mémoires d'ordinateur pouvant contenir un térabit, soit 1000 gigabits», précise-t-il. Sa technologie permettra de stocker plus d'information sur un même espace tout en utilisant moins d'énergie, en étant plus rapide et plus robuste. Et ce n'est qu'une des applications de la nanotechnologie, un champ en croissance dans une multitude de domaines. Par exemple, grâce aux nanotechnologies, nous pourrons fabriquer des diodes électroluminescents (D.E.L.) pour l'éclairage plus performants à moindre coût, ce qui permettra de diminuer la consommation d'électricité (les D.E.L. consomment moins d'énergie que les ampoules incandescentes ou les fluocompactes).

En plus de nous faire économiser de l'énergie, la production d'énergie verte est aussi au programme : les nanotechnologies devraient nous permettre, dans les prochaines années, de fabriquer des cellules photovoltaïques beaucoup plus performantes. «À l'heure actuelle, dit Dominique Drouin, elles laissent passer une portion importante du spectre de lumière; les nanotechnologies nous permettront de fabriquer des matériaux capables de transformer ces photons en énergie à un coût raisonnable.» On peut aussi citer la fabrication de matériaux beaucoup plus légers et plus résistants aux chocs et à la chaleur, la conception de nanocapsules capables de transporter des médicaments vers leurs cibles dans le corps, et ainsi de suite.

En voilà bien des promesses! S'agit-il d'une technologie miracle? «Il reste encore des questions scientifiques et éthiques à régler, dit Dominique Drouin. Est-ce que ces produits sont 100 % sécuritaires? Est-ce qu'on pourrait respirer des nanopoudres nocives ou des fragments de nanomatériaux libérés par le bris d'un objet? Il faudra répondre à ces questions», précise le professeur Drouin, bien qu'il ne se dise pas très inquiet à propos de l'innocuité des nanomatériaux.

Pendant que certains ont les yeux braqués sur leurs nanoscopes, d'autres scrutent le cosmos. Yves Grosdidier, astrophysicien, s'attend à de nombreux développements dans son domaine. Que ce soit à propos des grandes questions comme l'origine de la matière sombre (qui composerait 73 % de la masse de l'univers, mais dont l'origine nous est inconnue...) ou sur les liens entre la théorie de la relativité et la physique quantique, il s'attend à des progrès notables au cours des prochaines années. Il est aussi très excité par la mise en service de très grands télescopes de 100 mètres de diamètre même plus à partir du milieu de la prochaine décennie aux États-Unis et en Europe. «Ces nouveaux télescopes nous permettront d'étudier des exoplanètes de type terrestre. Avec nos instruments actuels, on ne peut étudier que des exoplanètes gazeuses similaires à Jupiter. On pourra ainsi commencer à répondre à des questions qui nous hantent depuis toujours : “Sommes-nous seuls dans l'univers?” ou, en étudiant la composition de l'atmosphère de ces planètes, “Quelle est l'origine de la vie?”» Avis aux blasés : il y aura du nouveau sous le Soleil (et pas seulement le nôtre)!

Société

Tirer profit du vieillissement de la population et de la diversité culturelle

Dans 20 ans, le Québec sera à la fois plus vieux et plus diversifié sur le plan culturel. Voilà des prédictions qui n'étonnent personne. La vraie question est de savoir si ces transformations se feront en douceur et si nous saurons nous y adapter.

Selon l'Institut de la statistique du Québec, la proportion des personnes âgées de plus 65 ans dans la population est passée de 7 à 13 % entre 1971 et 2001, et elle bondira à 27 % en 2031.1 «Dans les années 60, il y avait sept travailleurs pour un retraité, explique Louis Ascah, professeur d'économie, lui-même retraité. En 2030, il y aura seulement deux travailleurs pour un retraité.» Louis Ascah ne craint pas le pire pour autant : «Les régimes de retraite publics sont solides, même s'ils ne seront pas suffisants pour assurer de bonnes retraites. Les régimes de retraite privés, quant à eux, seront de moins en moins généreux. Il faudra donc augmenter l'épargne personnelle, consommer moins et travailler plus longtemps.»

Travailler au-delà de 65 ans, s'agit-il d'un recul? Pas nécessairement, selon Réjean Hébert, doyen de la Faculté de médecine et des sciences de la santé et spécialiste en gériatrie : «Aujourd'hui, l'espérance de vie à 65 ans est de 20 ans. Si on prend sa retraite à cet âge-là, ça fait 20 ans de vacances... c'est long! Les gens voudront de plus en plus avoir une retraite progressive avec aménagement de temps de travail pour continuer à se sentir utiles. Ça tombe bien, on entre dans une ère de pénurie de personnel, accentuée par le fait que les jeunes, eux aussi, aimeraient avoir des conditions de travail flexibles, comme la semaine de quatre jours.»

Cette pénurie de personnel attendue est aussi un argument souvent présenté pour défendre l'augmentation de l'immigration. Or il semble qu'une partie de la population québécoise résiste à cette idée. Aurons-nous dépassé ce débat dans 20 ans?

D'après Jacques Proulx, spécialiste de la psychologie des relations interculturelles, ce sera possible à condition de changer notre façon de penser la réalité et de modifier nos cultures organisationnelles pour les rendre davantage plurielles. Les universités auront un rôle-clé à jouer : «On dit qu'on vit dans une société du savoir, mais qui produit quel savoir? J'observe de plus en plus de réactions d'une partie du monde aux prétentions universelles du savoir occidental. Par exemple, plusieurs recherches à la base du savoir en psychologie ont été menées à partir d'étudiants blancs de campus américains : elles reposent sur une conception très individualiste de la personne, qui ne colle pas à toutes les sociétés. Des psychologies dites culturelles se développent actuellement. La même chose se produit dans tous les domaines : dans 20 ans, il faudra que nos universités aient développé dans leurs programmes les perspectives internationales et interculturelles des savoirs qu'elles diffusent pour faciliter l'évolution harmonieuse de la société québécoise. Malgré cela, nous ne sommes pas à l'abri de tensions interculturelles qui pourraient être déclenchées par un autre événement comme le 11 septembre.» Il faudra toutefois bien distinguer les conflits de valeurs, qui sont liés aux différences, des conflits d'intérêts, qui sont liés à la concurrence.

Une telle ouverture à la diversité, ajoute Jacques Proulx, comporte des avantages au-delà de la formation citoyenne : «La culture occidentale possède de grandes richesses qu'il faut préserver, mais elle comporte aussi des déficits. Il y a beaucoup de solitude et de burn-outs dans nos sociétés; notre rapport au temps est dominé par la performance. À l'opposé, les cultures africaine et latino-américaine, par exemple, donnent plus de place à la convivialité, à la coopération et à la solidarité. On aurait avantage à redécouvrir l'importance de ces aspects et à les intégrer à notre façon de vivre.» Pour lui, «la diversité culturelle est aux humains ce que la biodiversité est au monde naturel : il faut la préserver, c'est un héritage dans lequel il faut puiser pour relever les défis actuels qui nous concernent tous.»

1 THIBAULT, Normand, Esther LÉTOURNEAU et Chantal GIRARD, « Nouvelles perspectives de la population du Québec 2001–2051 », Données sociodémographiques en bref, Institut de la statistique du Québec, vol. 8 no. 2, février 2004, p. 3, accessible en ligne à http://www.stat.gouv.qc.ca/publications/conditions/pdf/BrefFev04.pdf

Santé

Le cancer (presque) vaincu et... de graves questions d'éthique!

Le Dr Gendron accueille sa patiente enceinte d'un mois. Il vient de recevoir les résultats du test génétique prénatal. Le test indique que le futur garçon, s'il naît, est prédisposé aux maladies suivantes : cancer de la prostate à partir de 55 ans, 45 % de probabilités; cancer du colon, entre 20 et 40 %, selon l'alimentation; diabète, faible risque; schizophrénie, 10 %. Aujourd'hui, la plupart de ces maladies se traitent bien. Ça, c'est la bonne nouvelle. Mais le test révèle aussi que le garçon à venir pourrait avoir un tempérament colérique, une intelligence moyenne et qu'il sera susceptible de développer une dépendance à l'alcool. En plus de ces informations médicales, la patiente apprend que, selon toute probabilité, son enfant aura les yeux bleus et qu'il pourrait avoir du talent pour la musique. Son orientation sexuelle aussi est dévoilée. La nouvelle loi sur l'éthique médicale interdit au Dr Gendron de révéler ces dernières informations, mais les laboratoires privés, grâce à un lobbying intense, ont obtenu le droit de tester ces paramètres et de les communiquer aux médecins (dans l'espoir, croit-on, de faire éclater toutes les restrictions un jour). Le Dr Gendron connaît la loi, mais il sait que les parents lui reprocheront peut-être amèrement (et peut-être violemment) de leur avoir caché ces informations. Que doit-il faire? Il a le tournis, et ce n'est que la première visite de la journée...

La réalité médicale des prochaines décennies risque de n'être pas trop éloignée de ce scénario. Régen Drouin, spécialiste de la génétique, affirme que dans 20 ans, «on devrait avoir des traitements relativement efficaces pour la majorité des cancers». Il s'attend aussi à des progrès en ce qui concerne l'Alzheimer, le diabète, l'hypertension, les problèmes de cholestérol, l'alcoolisme, l'obésité... Qu'est-ce qui lui donne tant d'espoir? «La génétique va progresser énormément dans les prochaines années, principalement parce qu'il coûtera beaucoup moins cher de séquencer le génome d'une personne», précise-t-il. Les chiffres sont éloquents : après de nombreuses années d'efforts à l'échelle internationale, le Human Genome Project a terminé, en 2003, un premier séquençage du génome humain pour près de trois milliards de dollars américains... Or, on s'attend à ce que d'ici trois ans, on puisse séquencer un génome complet pour 1000 $!

Le but sera-t-il de «corriger» le code génétique d'une personne pour lui éviter la maladie? «Pas nécessairement, dit le Dr Drouin. La thérapie génique est très complexe et il y a encore plusieurs étapes techniques importantes à franchir. Par contre, plusieurs cancers pourraient être traités spécifiquement si on en connaissait les anomalies génétiques en cause. Par exemple, dans certains cas, une anomalie génétique entraîne la production d'une protéine donnée, qui stimule elle-même la prolifération de cellules cancéreuses. Il s'agit alors de donner au patient un inhibiteur de cette protéine. C'est une solution simple, mais nous avons besoin de la génétique pour comprendre d'où vient le problème et où il faut attaquer les cellules cancéreuses.» 

La génétique sera aussi utile dans le traitement d'autres maladies. Parfois, un médicament est efficace pour traiter des personnes avec un certain profil génétique, alors que pour d'autres, il est inopérant ou même dangereux. Avec la pharmacogénomique, on pourra adapter la médication en fonction du profil génétique des individus.

D'après Chantal Bouffard, anthropologue médicale au Service de génétique du département de pédiatrie, ces progrès fulgurants auront des impacts sur nos représentations du corps et, par conséquent, sur les approches médicales que nous développerons. «Les moins de 50 ans ne voient plus le corps comme une machine. Il est plutôt perçu comme une extension de la personnalité», dit-elle. Ce ne sera pas une machine qu'on voudra réparer ou modifier grâce à la génétique, à la régénération ou au remplacement d'organes, ou encore à l'ajout de membres bioniques. Chantal  Bouffard ajoute : «On voudra plutôt que notre corps corresponde à ce qu'on est réellement ou à ce qu'on désirera que nos enfants soient.» D'ailleurs, elle constate une ouverture grandissante à cette représentation du corps chez les jeunes. Cependant, ce qui la rassure, c'est que les enfants continuent d'attribuer de l'importance à certains attributs fondamentaux. Par exemple, elle a présenté à des enfants de 6 à 13 ans des personnages fictifs (clones, mutants, cyborgs, extraterrestres, robots, etc.). Pour les enfants, un personnage était «humain» s'il avait des parents (ce qui excluait les clones), ou s'il avait des sentiments et des faiblesses. Si les enfants pouvaient s'identifier au personnage, il était humain. Ces derniers enracinent le statut humain dans la compassion et l'empathie et non dans la science et la religion. Aussi longtemps que la technologie médicale ne changera pas la nature humaine et sa propension à appartenir à un groupe et à éprouver des émotions, les modifications apportées au corps pourront avoir peu d'importance pour eux.

Ce qui l'inquiète, par contre, c'est «que si nous ne tenons pas compte de ces changements, les normes éthiques que nous fixons pour l'avenir risquent de ne pas nous survivre». Avec le risque d'une présence accrue de l'entreprise privée en santé, ajoute-t-elle, «nous pourrions aussi nous retrouver avec des designer babys offrant des enfants sur mesure».

La présence du privé en santé inquiète aussi Réjean Hébert, doyen de la Faculté de médecine et des sciences de la santé, mais pour des raisons plus prosaïques : «Les entreprises privées font d'énormes pressions pour pénétrer ce marché extrêmement lucratif qui leur échappe présentement. Pourtant, toutes les études montrent qu'un système de santé public est plus efficace. Mais comme on asphyxie le nôtre, j'ai peur qu'elles réussissent leur pari.»

Faut-il s'attendre à payer plus à l'avenir? «Oui, parce que même si les gens sont plus en santé dans 20 ans, ils seront aussi plus exigeants par rapport à la qualité des soins», précise le Dr Hébert. Mais il s'insurge contre ceux qui craignent le «gouffre sans fond» du système public : «Le prix des voitures a augmenté plus vite que l'inflation dans les dernières années, et personne ne s'en plaint. En plus, si la santé va au privé, ça va coûter encore plus cher et vous allez devoir vous battre contre vos compagnies d'assurances, comme aux États-Unis.»

Il croit qu'il y a des façons de limiter les coûts. «Dans 20 ans, dit-il, si nous avons pris le virage, l'hôpital aura beaucoup moins d'importance et les soins à domicile seront répandus. La coordination se fera avec des dossiers cliniques uniques et informatisés et une bonne communication entre les intervenants. Nous avons déjà la recette avec le modèle PRISMA, développé à l'Université de Sherbrooke. Il s'agit de le répandre!»

Prévention et télémédecine

Pour Michel Bureau sous-ministre adjoint à la santé, dans vingt ans, l'enseignement de la médecine fera plus de place à l'interdisciplinarité, les murs entre les spécialités vont tomber : «Présentement, les médecins sont formés en silos : les facultés veulent performer sur le plan de l'innovation technologique, mais les besoins de la population sont tout autres». La prévention jouera aussi un rôle croissant, selon le sous-ministre, et elle sera plus ciblée : la génétique permettra aux médecins d'ajuster leurs conseils en fonction du profil de chaque personne. «La télémédecine va se développer elle aussi ajoute-t-il : on pourra prendre sa pression chez soi et envoyer les résultats par Internet. C'est sûr que tout ça coûtera cher, mais les économies – réelles – réalisées grâce à la prévention et une participation d'appoint du privé feront que la croissance des coûts de santé ne sera pas incontrôlable.»

Géopolitique

Le monde entre espoirs et craintes

À la fin de la guerre froide, il y a 20 ans, les optimistes rêvaient d'un monde sans conflits idéologico-militaires, pacifié grâce à la propagation des libertés politiques et économiques. Le démembrement de la Yougoslavie, le génocide rwandais, les attentats de septembre 2001 ainsi que la riposte occidentale en Afghanistan et en Irak ont montré que les vieilles habitudes ne se perdent pas si vite. Que nous réservent les 20 prochaines années? Des spécialistes des questions internationales de l'Université de Sherbrooke sont partagés : certains envisagent le pire, d'autres croient aux promesses de l'après-guerre froide.

D'où viennent les principales craintes? Pour Stéphane Paquin, qui publiera, le printemps prochain, un ouvrage de synthèse sur la mondialisation depuis la Seconde Guerre mondiale aux éditions Armand Colin, la crise pourrait résulter des succès mêmes des progrès économiques des dernières années. La croissance effrénée de l'Asie, notamment, mettra une pression énorme sur les ressources naturelles de la planète, ce qui pourrait entraîner des conflits nationaux ou internationaux.

Qu'arrivera-t-il si la Chine veut sécuriser par la force l'accès aux ressources africaines? Si d'autres crises alimentaires éclatent? S'il y a un autre SRAS? Si les réfugiés climatiques se multiplient? Il y a bien des voyants rouges sur le radar de M. Paquin...

Durant la même période, la place du Canada et du Québec dans le monde sera moins importante : «Dans 20 ans, le Canada ne fera plus partie du G7, le siège social de Bombardier aura déménagé à Pékin et la dette publique représentera 200 % du PIB», affirme M. Paquin, un brin provocateur. La mondialisation a fonctionné pour nous jusqu'à maintenant, mais ça pourrait se retourner contre nous dans les prochaines années : nous ne sommes pas assez productifs, la population est vieillissante et notre endettement collectif est loin d'être réglé.»

Paradoxalement, l'espoir des optimistes repose sur les mêmes tendances. Pour eux, la progression de l'économie de marché augmente la richesse et détourne les peuples du recours à la violence. Serge Granger, spécialiste des relations sino-indiennes à l'École de politique appliquée, ne croit pas que la course aux ressources va mener à des conflits violents avec les pays occidentaux. «Nommez-moi un pays que la Chine a envahi dans son histoire récente... Il n'y en a presque pas : la tradition politique chinoise est plutôt pacifiste. Les Chinois savent que la guerre est extrêmement coûteuse. Même chose du côté de l'Inde. Dans les deux cas, la préoccupation est le développement économique, pas la course aux armements.»

Par ailleurs, l'Inde est une démocratie stable, et même la Chine fait des progrès sur les plans juridique et politique : «En 1979, souligne Serge Granger, il y avait 60 avocats en Chine. 60! C'était moins que dans la ville de Sherbrooke... Aujourd'hui, il y en a plus de 120 000, des juges sont formés, les malfaiteurs présumés ne sont plus appelés des criminels, mais des accusés.» Pour lui, «les autorités chinoises s'ouvriront aux doléances du peuple — c'est la seule façon d'éviter le chaos. Les élections, qui sont autorisées seulement au niveau local, se généraliseront d'ici 20 ans. Peut-être pas aux plus hauts niveaux, mais au moins à celui des provinces.»

Même si tous ont les yeux rivés sur l'Asie, l'Afrique — si souvent déclarée «continent perdu» — progresse discrètement. Luc Savard, économiste et habitué du continent africain, y observe une réduction substantielle de la pauvreté depuis le milieu des années 90. Il cite de nombreux pays où la situation s'est améliorée : le Ghana, le Sénégal, le Mali, le Mozambique, le Botswana, l'Ouganda, et ainsi de suite. «Avant, des pays menés par des dictateurs et déchirés par des conflits politiques, comme le Zimbabwe d'aujourd'hui, il y en avait 30 en Afrique; maintenant, c'est une minorité.» Et le mouvement devrait continuer dans les prochaines décennies, pourvu que les institutions internationales créent des conditions favorables, comme la libéralisation des échanges agricoles. Ce sera une réalité, «peut-être pas dans 10 ans, mais dans 20, probablement», dit Luc Savard.

En 2030, le monde devrait donc être multipolaire et plus équilibré qu'aujourd'hui. Les Américains vont-ils prendre ombrage de cette reconfiguration des rapports de force à l'échelle mondiale? Non, selon Gilles Vandal, spécialiste des États-Unis.

«Ils se sont habitués à voir leur importance économique diminuer depuis la Seconde Guerre mondiale», souligne-t-il. Ils ont assisté à la montée du Japon, puis de la Chine et de l'Inde, à la création de la monnaie européenne, etc., et «ils ont appris à vivre avec ces réalités», ajoute Gilles Vandal, qui croit cependant que les États-Unis demeureront un leader militaire et économique. La société américaine sera encore très dynamique en raison de l'importance qu'elle accorde à la créativité et à l'innovation.

Restent les cas de la Russie et du Moyen-Orient. Gilles Vandal pense que la direction de la Russie est ambiguë : le pays ne semble pas avoir complètement abandonné ses fantasmes de puissance militaire. Le Moyen-Orient est une autre source d'inquiétudes. Pour Sami Aoun, professeur titulaire à l'École de politique appliquée, «les scénarios d'anarchie et de stabilisation sont aussi probables les uns que les autres dans la région. Dans 20 ans, nous saurons si la région est restée un simple bassin de ressources ou si elle est devenue un vrai partenaire de la mondialisation». Pour le moment, «c'est toujours une région “géopolitiquement sismique” : certains pays risquent d'exploser pour des raisons ethniques ou religieuses, comme l'Irak ou le Soudan, et la tentation nucléaire est toujours présente en Iran et elle se confirmera chez d'autres aussi».

Pour les États de la région, le défi des 20 prochaines années est de moderniser leurs structures afin de permettre aux peuples d'être écoutés, d'augmenter le niveau d'alphabétisation et de favoriser la diversification économique. Sinon, la frustration pourrait continuer à nourrir la violence. Seul espoir : «Le terrorisme est un faux remède, et plusieurs s'en rendent compte dans la région», note M. Aoun.

Ainsi, lorsque nous prenons du recul par rapport aux (mauvaises) nouvelles du jour, il existe des raisons d'espérer. Mais à ce chapitre, la modération a bien meilleur goût.

Quelques prédictions...

Références

1 Nicholas STERN, Stern Review on the Economics of Climate Change, préparé pour le gouvernement britannique, 2006, p. vi. Disponible en ligne à l'adresse suivante : http://www.hm-treasury.gov.uk/independent_reviews/stern_review_economics_climate_change/stern_review_report.cfm.

Références supplémentaires

Internet

Livres